Les Carnets de Clément
Récits de voyages d'un sédentaire ambulant
Rivières sans fond
Nos danses fluides me donnent soif
Les corps liquides, les peaux satines
Les corps fluides, les peaux satines
Nos danses liquides me laissent sur ma soif
Récit du 13 novembre 2015 (les prénoms ont été modifiés)
Je suis en colère par ce qu’a dit le capitaine des pompiers et en colère que les massages prodigués n’aient pas été couronnés de succès comme dans la série Urgence. La vie n’est pas une série américaine. Ah bon ? What else ?
Serre les dents Lydia et serre les artères. Tu dis que tu as 5 impacts de balle dans le corps et je te crois. Je crois aussi que tu es la femme la plus courageuse que je connaisse à ne pas hurler de façon incohérente comme le ferai quiconque à ta place.
La réinvention du langage & la fin de l’odeur
Une Année Sans Eté (de Catherine Anne) - mise en scène Joël Pommerat
Exposition Hopper _ Grand Palais _ Hiver 2013
Ce siècle verra l’extinction de tous ces oiseaux de nuit avides de chromatisme, pour ne laisser qu’une pièce vide où entre une chaude lumière.
Redémarrage
TCin 00 : 59 : 56 : 07
Je rentre dans le taxi, le chauffeur est Algérien, il conduit une Honda flambant neuve, il a un agréable mélange d’accent d’ici et de là-bas. Je lui donne l’adresse, 4571 rue Hutchison. À l’inverse des taxis parisiens, il ne rentre pas l’adresse dans un G.P.S. Ici, le logiciel à mettre à jour, c’est moi.
Il me jauge un petit peu en posant plein de questions. Je crois tout d’abord qu’il cherche à me soutirer des informations et me mène en bateau. J’ai peur qu’il ne rallonge la course au fur et à mesure qu’il s’aperçoit que la géographie montréalaise et moi, nous faisons continent à part depuis deux ans. En réalité, toutes ces questions sont pour connaître les caractéristiques de mon système d’exploitation.
C:/ langue de démarrage français international
:/ vitesse de réactivité 80 Hz onde gamma
:/ enthousiasme 300 Mo de joie de vivre
:/ auto-dérision périphérique 0,003 blagues/s
:/ alimentation variée, hallal, chrétienne, casher, végétarienne, macrobiotique, végétalienne, sénégalaise, poitevine, mexicaine, japonaise, fast et cubaine.
:/ audio système intégré
:/ microphone interne
Contrôles :/ Gauche, Droit
Retour son :/ Non
Identifiant du module :/ Tympan
:/ haut-parleurs internes
Contrôles :/ voix grave, mesurée
Labilité:/ 6,3 mots/s
Identifiant du module :/ cordes vocales
C:/ Venu en 2008, études à l’Université de Montréal, l’UdeM, resté 2 mois, reparti, revenu pour travailler.
Start > update routard
TAXIMAN :/ On prend par le centre-ville ou par l’autoroute du nord ? »
REFLEXION INTERIEURE : Faire confiance et sortir des embouteillages.
C:/ Tentons par l’autoroute.
Start > insertion plug-in
TAXIMAN :/ Tu connais-tu la route sur laquelle on se trouve ? »
C:/ Non.
TAXIMAN :/ Chemin de la Côte Sainte Catherine. »
REFLEXION INTERIEURE : Visiblement, c’est à savoir.
TAXIMAN :/ Et ici, on est où ? »
C:/ ???ç %§ ! On est au Nord du Mont Royal ?
TAXIMAN :/ Ben voyons don’, puisqu’on a pris l’autoroute du Nord, on arrive nécessairement par le Nord. »
Start > reboot de l’ordinateur
TAXIMAN :/ Tu sais ce que c’est la poudre de neige ? »
C:/ ???ç %§ !
Start > prononciation adresse selon API
4571 Rue Hutchison = [kaRɑ̃:t sε̃k Ry hatʃisɔn]
TAXIMAN :/ car sinon t’as l’air d’un touriste. »
TAXIMAN :/ Il y a des cours de québécois à l’UQÀM, faut se renseigner. »
TAXIMAN :/ Déniéze-toué ! »
C:/ ???ç %§ !
TAXIMAN :/ T’as compris ! Déniéze-toué ! »
C:/ OK
Les chauffeurs de taxi reçoivent à l’Université du Québec À Montréal, l’UQÀM, une formation de géographie mobile ainsi qu’une formation interculturelle d’accueil pour la réception et la prise en charge de visiteurs étrangers. Ce module de cours enseigne de façon pragmatique et cognitive comment déboguer les problèmes de formatage culturel.
Je suis arrivé au Québec, pays de gens qui n’ont jamais eu froid. Malgré les hivers rudes, la population a toujours trouvé assez de combustible pour chauffer le foyer. Cette belle alchimie d’une nature glacée en émulsion avec la tiédeur du logis a donné au caractère des habitants une humeur que l’on retrouve chez les Méditerranéens, qui voient dans le Soleil donné en offrande toute l’année, un don du ciel qui, s’il ne rend pas riche, allège l’âme de biens des soucis.
TCin 1 : 00 : 00 : 00
Melting Pot 1/2
Le IIIe arrondissement de Paris est un quartier très homogène, très XVIIe siècle et très bourgeois. Les premiers habitants de ce riche quartier du centre sont les vieux qui se perdent parmi les Orthodoxes Loubavitch. La dévotion de ces derniers est cependant bien pâlichonne face à celle des homosexuels bronzés qui glorifient le dieu Phallus. Tout ce petit monde disparaît tous les weekends, englouti par la masse bariolée des touristes.
La pharmacie, la boucherie, et le fromager viennent de fermer. Les magasins sont devenus des échoppes d’artistes : rôtisserie de baskets, laboratoire pour presse papier, porte-plume et pot à crayon. De simples fournitures me direz-vous, non, de l’Art de Bureau® à côté duquel L’Occitane® et Camper® font figure de supermarchés. Le prix de base pour un T-shirt déchiré est maintenant fixé à 130 €.
Lorsque j’ai déménagé pour le XIe arrondissement, ce fut une évolution vers la biodiversité sociale. Cet arrondissement est le plus dense de la capitale ; de la terrasse des cafés, on observe les fourmis parisiennes entrer et sortir en continu des bouches de métro. Dans ma rue, il y a une boucherie casher ainsi qu’un restaurant de sushi, casher. Jusque là rien de nouveau. Mais l’épicerie du coin est tenue par un Chinois, ainsi que la petite agence de voyage mitoyenne Melting Pot qui propose toujours d’alléchants vols à bas prix pour le Cambodge, la Malaisie, le Laos, là-bas.
La boulangerie est tenue par un Algérien. Sa femme, toujours coiffée du hidjab, estime que son époux parle fort. Comme je rejoins son point de vue, je lui conseille d’aller consulter un ORL (¡¡ OTO-RHINO-LARYNGOLOGUE !!). Lorsque j’y suis retourné un mois plus tard, il parlait d’une voix mesurée. Il m’a fait crédit d’un pain au chocolat parce que je n’avais pas de monnaie. C’est la première fois que cela m’arrivait, sans compter la fois où une caissière de supermarché m’avait fait cadeau de 2 centimes sur des courses valant plus de 100 €. C’était dans le Sud de la France, la brave jeune femme ne connaissait pas Paris.
La boulangerie a fermé depuis. Certaines mauvaises langues diront que c’était parce qu’elle était hallal. Depuis, un restaurant de sandwichs grecs s’est ouvert, il est aussi hallal mais les affaires vont mieux. Conclusion, les bonnes ou les mauvaises affaires ne sont pas le résultat de la religion mais plutôt d’une sérieuse étude de marché.
A midi, le Grain de Riz, petite échoppe vietnamienne tenue par Madame Chi, propose un bo bun à 5 €, nettement meilleur et moins cher que le Maxi Big Mac Deluxe®. Au supermarché, il y a tout un rayon de produits hallal et les ingrédients pour cuisiner mexicain ou marocain. C’est bon un tajine.
Athmen, dealer, est comme 99,5% des Français, il regarde la télévision et, comme 99,5% des Français, il aurait voté Obama, s’il avait été américain. Il s'enthousiasme car le gouvernement vient de légaliser le cannabis à usage thérapeutique dans treize états, le marché est en plein boom et cela présente de belles opportunités. Athmen se demande s’il ne devrait pas ouvrir son business là-bas, en Californie, où 200 000 personnes fument en payant la TVA. En attendant, il étudie l'anglais des affaires.
Comme dans le reste du monde, le nouveau président américain est devenu une icône dans le XIe, son nom sert de mot de passe pour la connexion internet à L’Armagnac, le wistro de quartier, et rue de Charonne, la communauté africaine utilise « ieswican ! » comme laissez-passer au Foyer des jeunes travailleurs.
Melting pot 2/2
Au Père Lachaise, le monde entier se presse pour voir la tombe d’Oscar Wilde et de Jim Morrison. On peut aussi rendre visite Pierre Desproges, Delacroix, Chopin (sauf son cœur qui est à Varsovie). Au funérarium, une congrégation de généraux et de francs-maçons s’entasse dans la plus parfaite indifférence.
Mon lave-linge est en panne, je vais donc à la laverie d’en face tenue par un Pakistanais qui fume toujours son cigare en laissant voguer son imagination. Il a l’air constamment ailleurs, comme s’il avait sous les yeux un tambour de lave-linge remuant les images noires de villages bombardés par l’OTAN.
Pour un bon dîner en tête-à-tête, je ne pourrais trop vous recommander le restaurant de gastronomie juive Aux Puits de Jacob. Il y a aussi un petit resto vieux terroir dans la rue de derrière qui doit être très bon. J’ai vu l’autre jour toute la noce d’un mariage béninois entrer alors que la mariée à peine sortie de la mairie place Voltaire perdait encore du riz de sa robe. Pour les gros appétits qui aiment la cuisine riche et raffinée, il y a le Waly Fay qui sert de l’excellente cuisine sénégalo antillaise, mais il faut réserver 3 jours à l’avance pour avoir une table.
Mon voisin taïwanais vient de quitter l’immeuble pour rentrer dans son île, il a laissé la place à une jeune organiste coréenne. Elle s’entraîne toute la semaine pour son concert du dimanche à l’église Saint-Antoine. Mon voisin du dessus, arménien, coiffeur de son état, a commencé des cours de chorale, ses premiers exercices sont des rythmes entraînants. L’autre soir, j’entendais sa voix de baryton fredonner la mélodie de Pulp Fiction et les vieux tubes de feu Michael Jackson. Tout ce microcosme vit très bien, à part ma voisine du premier qui est banquière. Dernièrement, ses actions sont complètement dévaluées, elle ne peut pas débloquer ses stock-options et n’a pas obtenu de crédit pour acheter l’appartement qu’elle loue depuis deux ans. Alors le soir, elle va chercher un DVD au vidéo club du quartier, où il y a beaucoup de films américains, mais il y a aussi tout Bergman, tout Kieślowski, tout Fellini, tout Tavernier, tout Kitano, tout Lars Von Trier, tout Almodovar, tout Wong Kar Wai. Un éden pour les globe-trotters qui n’aiment pas voyager.
Journal d’une psychotique
Pour les gens, c’est différent, quand on leur parle, ils se métamorphosent puis disparaissent. Je ne sais pas comment cela se fait.
Journal de bord, .... non, ... mon chef insiste pour appeler cela, des symptômes. Disons donc :
Journal de symptômes
13/11/09
Je suis Hamlet mais tous les châteaux que j’ai visité sont remplis de parkings. Je ne m’arrête de marcher que quand mes jambes sont lourdes ou que les pompiers viennent prendre leurs ordres de ma sainte personne. Je m’appelle Hamlet et mon rite de purification est allé à remplacer chaque molécule de mon corps. Pour atteindre un état céleste, je ne dors ni ne mange depuis quatre jours. Je ne fais que respirer. Aucune nourriture solide n’a franchi le seuil de ma bouche et j’ai remplacé chaque molécule d’H20 de mon sang par du CH3-CH2-OH (éthanol). J’abaisse ainsi ma limite d’explosivité dans l’air et suis plus à même de capter les indices de culpabilité, les sentences paternelles et les voix d’outre rideau.
16/11/09
Je veux que ma salade d’orange à la cannelle soit éternelle, inoxydable, infiniment bleue.
20/11/09
Les gens grandissent et rapetissent, selon leur humeur. C’est parce qu’ils n’arrivent pas à s’exprimer correctement. Ils beuglent ou rient, ce n’est pas inconvenant, c’est juste inexact, et cela me réveille la nuit. Alors que pour les comprendre il suffit de mesurer leur taille. Laura faisait 1m55 quand je l’ai rencontrée il y a deux ans. Pendant les manifestations d’avril, elle en faisait 1m68. Gaspard est un garçon fluet de 1m75, mais quand il est rentré dans ma chambre, il était devenu large et imposant du haut de son 1m90. C’est pour cela que j’aime bien être assise.
21/11/09
Le Roi des Aulnes réclame un nombre croissant de sacrifices, je n’ai que des cigarettes à immoler. Qu’importe, les patchs à la nicotine risqueraient de me transmettre un virus insidieux et les cataplasmes du serpent à plumes n’y feraient rien. Je mourrai à la prochaine éclipse de Soleil.
21/11/09 (again)
La fin de l’année arrive et bientôt le calendrier mayas arrivera à son terme. Puisque tous les prêtres-astronomes sont morts de la grippe amenée par les conquistadors, je passe le temps en regardant des vidéos sur Youtube : un labrador qui joue au billard, un bulldog sur un skate, un dalmatien à vélo, un lapin nain ouvreur d’enveloppes et un chaton s’appliquant à faire des massages shiatsu. Plus que trois ans et un mois, la fin du monde tombe un vendredi.
Fractale
Une fugue sans voix
Traversé de caresses
6 mains, 3 corps, 1 cube, vide
Un, Deux, Trois
Une poignée fraternelle
Une pieuse onction
Une taille enlacée
Une jambe étreinte
Ces empreintes sont les rémanences de couleurs vives
Rose, Rouge, Turquoise
Le rythme de l'horloge est pour moitié du silence
L'autre moitié dépend du tempo des êtres
Car dans la spirale l'aiguille accélère sans changer d'allure
Tic, Toc, Tic
Embrasser tout l'univers
Se mouvoir sur place
Aimer sans s'unir
Recevoir sans accepter
La nécessité du vide
L'absence de centre
Toi, Moi, Nous
Publié sur Etoiles le blog du théâtre de L'Etoile du Nord
Memories
Memory is not a passive quality of our mind, not a kind of record of our actions but an active effort to reactivate the past. Indeed, memory is a tremendous effort of our attention to reopen the doors of past. Usually I prefer the dizzy nostalgia or my intricate fantasies, but nothing about past. I dream, but there is no new shadow in my dreams, only the old ones and all the players hired to entertain me a night.
Some relationships in life will last long, even without your consent. In the future, there will always be a phone ringing or an unexpected visit. I wondered about us then I discovered that you are like these friends I left. You are like Q…, G… or B… : strangers to you, and strange people indeed. I once met them and they are now part of my life. That does not mean I spend days with them, that does not mean I think of them all the time, that does not mean my life worth something thanks to them. It just means that when my life will shut from the world and open me to the darkness, I will pick up the pebbles of my few decades, few dense images, smooth as stones stroked by the seductive voice of the sea. Each of them will be one of you, then my burden and I will be the preys of the greedy void, vanishing into the roots of sleep.
La Reine de la Salle de Bain
Une reine puissante régnait sur un tout petit royaume. Une salle de bain carrelée de blanc et de bleu était l'objet de ses soucis, une obsession autour de son unique bien à transmettre à sa progéniture. Mais la promiscuité, la dissension au sein des rangs et la menace que laissait planer un cousin exigèrent de la rigueur et de la discipline.
Une reine très puissante régnait sur un royaume encore plus petit. Elle était sûre de pouvoir transmettre en héritage cet unique bien à sa progéniture. Mais elle fut encore plus cruelle, plus intransigeante.
Les guerres fratricides sont les plus épiques, selon les dramaturges. Quatre-vingt-dix pour cent des meurtres ont lieu en familles disent les chiffres et les génocides ont maintenant tous leurs caméras, grâce aux journalistes.
Pourquoi alors censurer une pièce qui ne souhaite que laver le linge sale en public ?
Publié sur Etoiles le blog du théâtre de L'Etoile du Nord
OUPS - OPUS
OUPS
C’est la voix du gramophone
L’esprit de la guinguette
Gravé dans le vinyle
Deux corps synchrones
Pour marquer le passage du temps
Du rétro et des images jaunies
Quand on pouvait encore poser ses talons
Ou ses vieux godillots
Sur la banquette en cuir du compartiment
Dans le temps il y avait des jeux de trains
Et des jeux de mains
Quand les trajets duraient des heures
Pour aller où ?
OPUS
Deux êtres libérés dans l’espace interbiscottal
Jouant de la mélodie des astres
Un humanoïde masterise les échantillons de temps
L’enfance de l’Univers est derrière nous
Plus d’homme, plus de femme
Que des ultra-modernes
Et des sabliers en poussières d’étoiles
Publié sur Etoiles le blog du théâtre de L'Etoile du Nord
Le Cantona Sans Peine
Difficile d’enseigner la futilité de la gloire à un postier dépressif.
Impossible d’inculquer le sens de la justice à un gangster psychopathe.
Mais grâce à Cantona et à ses aphorismes facilement mémorisables, on apprend rapidement l’estime de soi.
Bilingue, français / anglais, pragmatique / ésotérique, ses leçons confinent à l’aporie taoïste. Il faut de tout pour faire un Sage : le mental / le physique, l’individuel / le collectif, l’amour / la famille, les rêves / les copains. Tout est dans tout et, surtout, soi est en soi.