Rivières sans fond


Nos danses fluides me donnent soif

Les corps liquides, les peaux satines

Les corps fluides, les peaux satines

Nos danses liquides me laissent sur ma soif

Récit du 13 novembre 2015 (les prénoms ont été modifiés)

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« Sur la terrasse, y’a plus de pouls, y’a plus rien. On quadrille et on décale au PMA (Poste Médical Avancé) » a annoncé le capitaine des pompiers de sa voix forte.
            C’est comme ça que je me suis retrouvé à aller de la Belle Equipe au Petit Baïona, pas au restaurant, mais sur le trottoir, devant, avec les autres, les autres hommes, les autres femmes, les autres secours, les forces de l’ordre et du désordre.

            La soirée avait bien commencé au Palais de la Femme, on pratiquait le contact improvisation (danse contemporaine). Et puis ça a pétaradé à 21h32 et les bons gros animaux danseurs gavés de pesanteur se sont éveillés de leur torpeur. Il y a eu confusion, envolée, cris, cavalcade, emballement. La dame de l’accueil ferait mieux de s’asseoir, elle s’essouffle plus vite qu’elle ne parle : « Ils… Ils ont tirés... Ils sont… partis dans une voiture noire… » Rhabillage, chaussures, téléphone, 17, curiosité, inquiétude. Mon âme de ninja urbain se réveille et plutôt que d’attendre au téléphone, je m’avance discrètement sous le porche, voit 3 pompiers et 2 policiers.
            Si les mécontents qui ont tirés veulent revenir, ils tireront sur eux en premier. C’est avec ce pseudo raisonnement que j’endors ma peur et m’avance vers la scène. Je m’approche alors des victimes en y allant croissant. Je vais voir d’abord Stéphane, il a un impact dans le ventre, ça fait mal mais c’est gérable. Aurélie à côté de lui est toute mignonne, mais sa main saigne et on ne pourra pas enlever sa chaussure pour voir où est passée la deuxième balle. Elle est inquiète. En tous les cas, il n’y a pas d’hémorragie, elle est consciente, les blessures sont périphériques. On respire un peu ensemble, ça va mieux, elle décompense et pleure. La douleur revient, les endorphines n’agissent plus comme anesthésiques temporaires. L’effet de sidération suite au choc se dissipe, elle commence à frissonner, ce sont les effets de l’adrénaline qui se manifestent, tout est tristement normal. Je lui explique ça avant de les laisser sous la surveillance de mon ami Vivien. Je vais voir les blessés sur la terrasse, ceux qui n’ont pas été en mesure de marcher après la fusillade.
            Je vois une jeune femme à terre qui se plaint, sa jambe est ouverte et son mollet fait un zigzag, ça fait penser au dessin du 18ème siècle de danseurs de gigue, mais elle est par terre et elle dit qu’elle va mourir. Comme elle est consciente et qu’elle a un garrot qui stoppe l’hémorragie, je me déplace vers les cas encore plus urgents, ceux qui ne peuvent plus appeler à l’aide. Je me retrouve avec Sylvain, il ne peut pas me dire son prénom, mais à côté de lui Sébastien, son ami indemne, lui parle. Un pompier a commencé un massage cardiaque. Il y a un DSA (Défibrillateur Semi-Automatique) sur la table, je le saisis, mets des gants en latex, m’approche, me présente comme secouriste volontaire. Notre binôme travaille bien, la communication est fluide, on se coordonne pour poser l’appareil tout en continuant le massage. Petite déception quand, après avoir arraché le pull et le T-shirt ensanglanté, on s’aperçoit d’un trou dans la poitrine, on ne peut pas poser le DSA à l’endroit prévu. Il faut s’adapter. Le choc électrique de réanimation ne viendra pas.

            « Sur la terrasse, y’a plus de pouls, y’a plus rien. On quadrille et on décale au PMA » a annoncé le capitaine des pompiers avec sa voix forte.
            « Mais si capitaine, dit ma petite voix intérieure, il y a encore 10 personnes qui sont là, ils ont pas fini leur verre, pas fini leur phrase, ils ont pas fini la vie qu’ils avaient envie de vivre… »
            Ils n’on pas non plus eu la mort qu’ils auraient souhaité. Pas avec du verre et du sang partout, pas par terre, pas sur le bitume noir, plutôt que dans un bon lit chaud.
          Je suis en colère par ce qu’a dit le capitaine des pompiers et en colère que les massages prodigués n’aient pas été couronnés de succès comme dans la série Urgence. La vie n’est pas une série américaine. Ah bon ? What else ?

            Alors je vais au PMA, je retrouve Sébastien auprès de Dominique, mais Dominique ne parle pas. Il n’a toujours pas de DSA. Je me sens plus proche de lui après avoir pratiquer un bouche-à-bouche. Même si la nouvelle procédure de réanimation cardiaque ne prévoit que de masser, j’ai besoin d’insuffler de l’air, de la vie. J’aime bien le son que ça fait lorsque l’air sort de ses poumons, les mannequins de la Croix Rouge sont silencieux, tout en plastique, trop artificiel, trop blanc, trop homme, trop musclé, trop brun, trop type caucasien. Dans les séances d’entraînement, ça ne fait aucun bruit. Alors que Dominique, il est choux avec ses grosses lèvres rosées africaines et son torse aux rares poils crépus. Finalement, un pompier qui s’occupe du triage tâte son pouls carotidien et m’ordonne de le déplacer.
            Je pense : « Chouette Dominique, tu vas avoir ton médecin du SAMU pour toi tout seul. » On est encore devant le restaurant et vous connaissez les restaurants parisiens, il faut toujours attendre pour avoir une table. Et bien là, c’est pareil, il faut attendre un peu pour être ressuscité mais comme il fait froid et que le massage a été quasi continu pendant tout ce temps, un bon coup d’adrénaline, de défibrillation et son cœur fera boom. Alors youpi, c’est parti Dom, on te trimbale vers l’arrière du resto, un peu comme un sac à patate, mais c’est pour ton bien, tu vas voir la sortie du tunnel.
            L’endroit où l’on m’envoie n’a rien d’une salle de travail, je découvre progressivement le trottoir de la ruelle derrière, avec quatre corps déjà sous des draps. Mais je ne veux pas que mon Dom, il aille dormir avec les autres. Dom, c’est devenu mon ami, il a les dents un peu en avant et une petite cicatrice au bas ventre, mais il est beau, il a pas l’air de saigner et toutes les fois où j’ai pris son pouls, j’ai cru sentir quelque chose. Ce n’était pas délirant comme rythme cardiaque mais je sentais quelque chose. Et dans la ruelle aussi, j’ai senti quelque chose. Avec toute l’agitation autour, son corps était en permanence un peu bousculé et après encore 5 min de massage j’en arrive à la même conclusion que les pompiers. J’avais emmené un cadavre dans la ruelle. Dommage cher Dominique, Sébastien et moi on est tristes. Mais il y a d’autres gens qui sont là et qui souffrent. Et quand il y a de la souffrance, il y a de l’espoir.

            De nouveau au milieu des victimes, je relève un culot de perfusion qui trainait par terre, le sang commençait à entrer dans le cathéter de la perfusion au lieu de l’inverse. On discute avec la jeune femme assise par terre, une balle au bras, une à la jambe, on respire ensemble, elle a mal, elle vivra. Serre les dents, ça va aller, mais il y a plus grave que toi, je dois y aller, au revoir Mélanie.
            Alors je rentre au Petit Baïona, la terrasse normalement encombrée de tables et de chaises a été vidée, il y a 4 personnes à terre. Et là je revois Lydia qui se plaint toujours. Salut Lydia, ton garrot a tenu le coup et tu as presque terminé de biberonner un culot entier de perfusion, c’est super ! Un infirmier passe parmi nous en demandant si l’on a besoin de quoi que ce soit, façon un peu steward d’Air France. Je lui dis que Lydia reprendra bien un culot de perfusion, elle a une bonne descente.
Tu vois Lydia, ça fait une heure que tu dis que tu as chaud et soif et que c’est la merde, et que les gens sont cons et que ta jambe fracturée n’est pas dans le bon sens et que ton frère aurait pu te sauver en 10 minutes s’il avait été là et que tu vas mourir. Mais tu te trompes.
            Serre les dents Lydia et serre les artères. Tu dis que tu as 5 impacts de balle dans le corps et je te crois. Je crois aussi que tu es la femme la plus courageuse que je connaisse à ne pas hurler de façon incohérente comme le ferai quiconque à ta place.
Le capitaine des pompiers annonce de sa voix forte: « La priorité est qu’on SINUS tout le monde. J’ai les fiches d’évacuation, qui sait qui n’a pas de stylo ? »
            T’endors pas Lydia, j’ai pas envie de te donner des claques pour m’assurer que tu es réactive, mon collègue de la brigade le fait mais tu mérites mieux, je préfère crier quand tu t’endors : « Lydia ! Lydia ! » C’est comme à la chasse à courre, il y a des mots étranges comme tayaut ou hallali. Là c’est « Lydia ! Lydia ! ». Dans notre jargon de ce soir là, ça veut dire que t’as perdu ta jambe, tes amis, ton boulot, tes vacances et ta soirée mais que dans une année tout ira mieux. Les statistiques le disent, en ce vendredi 13, que tu gagnes à l’Euromillions ou termine en fauteuil roulant, dans une année ton niveau de bonheur reviendra à ce qu’il était avant. On ne va pas parler statistiques, déjà que tu as du mal à te souvenir de ton âge et de ton adresse, mais c’est comme ça. Selon cette étude que je lisais, on a l’impression que le gagnant du tirage de vendredi soir est plus chanceux que la victime d’une fusillade mais après un an, la vie aura repris son cours. Bon OK, tu n’iras pas aux Antilles, ni achèteras une Ferrari entre temps, tu feras ton temps à l’hôpital, des mois de rééducation, des séances d’EMDR (thérapie post-traumatique). Tout ça je le sais, mais je ne te le dis pas. Parce que tu parles déjà assez et parce que je suis aussi trop occupé à lire dans tes yeux l’envie de vivre qui se cache sous ce flot de paroles. Alors je t’écoute, on remplit la fiche d’évacuation et on respire aussi. C’est génial Lydia, tu as besoin de très peu pour vivre, un peu d’eau sur le front, quelques tapes sur la joue et d’une oreille attentive.

            « Lydia ! Lydia ! » Il y a le médecin du SAMU qui est là. Bye, bye ton blouson, il le découpe avec des ciseaux tellement affutés qu’on a l’impression que le cuir est du papier. Tu as droit à un examen en bonne et dû forme, un électrocardiogramme et 4 mg de morphine. On est vendredi, il est 22h45, 4 mg de dérivés opiacés, la soirée commence enfin. La Croix Rouge est là pour te brancarder, on est aux petits soins à cinq secouristes pour transporter ton petit corps de 66 kg, ça file tout seul jusqu’à l’ambulance.

            Au revoir Lydia, au revoir princesse, tu es grande maintenant. Tu n’as pas encore 30 ans et tu as déjà vécu le pire jour de ton existence.
            Le reste sera une ballade.

La réinvention du langage & la fin de l’odeur



Il est des rêves silencieux que l’on est deux à faire. La vue est troublée, les gestes empesés, on y entend un ou deux souffles, trois, quatre bruits quasi rien.

C’est un rêve, je m’y abîme et y reviens puis j’y songe dans un délice que ta présence rehausse.



Un rêve sans pensées et sans paroles.

Un rêve d’un extrême dénuement.

Une fois éveillé, je le raconte et l’expose,

Je le recherche et le provoque avec la maladresse obéissante du somnambule.



Tant de baisers contenus dans l’ardeur d’un nuage,

Tant de passion précède la pluie.

L’orage vient sans faire entendre de grondement,

La foudre s’abat dans un déchirement muet.



J’ai toujours été curieux des mots.


Texte de 2004 en rebond à la représentation de mars 2015 
Une Année Sans Eté (de Catherine Anne) - mise en scène Joël Pommerat

Exposition Hopper _ Grand Palais _ Hiver 2013



La foule patiente et les regards creusent
L’architecture de la solitude,
L’obscurité qui encamisole les couleurs de la ville et la vie. 

Les tableaux commencent à déborder du cadre et l’œil perçoit tout d’un coup une dimension nouvelle que le peintre fouille à travers toute son œuvre.


Comme ces scènes de vie arrachées au passé, j’isole des groupes qui passent par vague, une ou deux figures notables, une posture, un beau maintien, soutenant de jolis traits, des yeux curieux qui interrogent silencieusement la scène qui se joue. 


Sous le plafond en alvéoles du Grand Palais gravitent des taches de couleur, bimanes, bipèdes, à vision stéréoscopique. Tous ces oiseaux de nuit avides de chromatisme circulent appesantis par la surcharge sensorielle de l’exposition. Ils passent en instantanés, l’esprit léger comme la nudité estivale d’une chambre d’hôtel. Après avoir longuement savouré une œuvre, les visiteurs se lèvent comateux comme un clown qui a perdu sa partie de poker après le début d'une guerre mondiale. Ils s’attarderont encore au zinc chez Phillies, dans l’attente de l’aurore qu’ils redoutent, mais tous s’en iront… Puis ils disparaissent lentement avec les derniers spectateurs du théâtre qui espéraient un bis. Certains feront du zèle à l’instar d’employés de bureau par une nuit chaude d’été ou prendront le large, prudents comme ces marins du dimanche encalminés dans la houle.


Robe à fleur, visiteur, gardien débonnaire, étudiante en art, yeux en coin, physique d’athlète, échappée de défilé. Après avoir vagabondé dans les pensées d’une spectatrice pendant l’entracte, la torpeur du philosophe las de sexe et de lecture s’installe. 


Ce siècle verra l’extinction de tous ces oiseaux de nuit avides de chromatisme, pour ne laisser qu’une pièce vide où entre une chaude lumière.



PRECOLOMBIAN ART NEEDS YOU!

Redémarrage

Jour 1, Carte postale n°20

TCin 00 : 59 : 56 : 07


Je rentre dans le taxi, le chauffeur est Algérien, il conduit une Honda flambant neuve, il a un agréable mélange d’accent d’ici et de là-bas. Je lui donne l’adresse, 4571 rue Hutchison. À l’inverse des taxis parisiens, il ne rentre pas l’adresse dans un G.P.S. Ici, le logiciel à mettre à jour, c’est moi.
Il me jauge un petit peu en posant plein de questions. Je crois tout d’abord qu’il cherche à me soutirer des informations et me mène en bateau. J’ai peur qu’il ne rallonge la course au fur et à mesure qu’il s’aperçoit que la géographie montréalaise et moi, nous faisons continent à part depuis deux ans. En réalité, toutes ces questions sont pour connaître les caractéristiques de mon système d’exploitation.



C:/ langue de démarrage français international

:/ vitesse de réactivité 80 Hz onde gamma

:/ enthousiasme 300 Mo de joie de vivre

:/ auto-dérision périphérique 0,003 blagues/s

:/ alimentation variée, hallal, chrétienne, casher, végétarienne, macrobiotique, végétalienne, sénégalaise, poitevine, mexicaine, japonaise, fast et cubaine.

:/ audio système intégré

:/ microphone interne

Contrôles :/ Gauche, Droit

Retour son :/ Non

Identifiant du module :/ Tympan

:/ haut-parleurs internes

Contrôles :/ voix grave, mesurée

Labilité:/ 6,3 mots/s

Identifiant du module :/ cordes vocales



C:/ Venu en 2008, études à l’Université de Montréal, l’UdeM, resté 2 mois, reparti, revenu pour travailler.


Start > update routard

TAXIMAN :/ On prend par le centre-ville ou par l’autoroute du nord ? »

REFLEXION INTERIEURE : Faire confiance et sortir des embouteillages.

C:/ Tentons par l’autoroute.


Start > insertion plug-in

TAXIMAN :/ Tu connais-tu la route sur laquelle on se trouve ? »

C:/ Non.

TAXIMAN :/ Chemin de la Côte Sainte Catherine. »

REFLEXION INTERIEURE : Visiblement, c’est à savoir.

TAXIMAN :/ Et ici, on est où ? »

C:/ ???ç %§ ! On est au Nord du Mont Royal ?

TAXIMAN :/ Ben voyons don’, puisqu’on a pris l’autoroute du Nord, on arrive nécessairement par le Nord. »


Start > reboot de l’ordinateur

TAXIMAN :/ Tu sais ce que c’est la poudre de neige ? »

C:/ ???ç %§ !


Start > prononciation adresse selon API

4571 Rue Hutchison = [kaRɑ̃:t sε̃k Ry hatʃisɔn]

TAXIMAN :/ car sinon t’as l’air d’un touriste. »

TAXIMAN :/ Il y a des cours de québécois à l’UQÀM, faut se renseigner. »

TAXIMAN :/ Déniéze-toué ! »

C:/ ???ç %§ !

TAXIMAN :/ T’as compris ! Déniéze-toué ! »

C:/ OK



Les chauffeurs de taxi reçoivent à l’Université du Québec À Montréal, l’UQÀM, une formation de géographie mobile ainsi qu’une formation interculturelle d’accueil pour la réception et la prise en charge de visiteurs étrangers. Ce module de cours enseigne de façon pragmatique et cognitive comment déboguer les problèmes de formatage culturel.

Je suis arrivé au Québec, pays de gens qui n’ont jamais eu froid. Malgré les hivers rudes, la population a toujours trouvé assez de combustible pour chauffer le foyer. Cette belle alchimie d’une nature glacée en émulsion avec la tiédeur du logis a donné au caractère des habitants une humeur que l’on retrouve chez les Méditerranéens, qui voient dans le Soleil donné en offrande toute l’année, un don du ciel qui, s’il ne rend pas riche, allège l’âme de biens des soucis.


TCin 1 : 00 : 00 : 00




Melting Pot 1/2


Carte Postale n°19 dédiée aux 24 heures Sans Nous

Le IIIe arrondissement de Paris est un quartier très homogène, très XVIIe siècle et très bourgeois. Les premiers habitants de ce riche quartier du centre sont les vieux qui se perdent parmi les Orthodoxes Loubavitch. La dévotion de ces derniers est cependant bien pâlichonne face à celle des homosexuels bronzés qui glorifient le dieu Phallus. Tout ce petit monde disparaît tous les weekends, englouti par la masse bariolée des touristes.
La pharmacie, la boucherie, et le fromager viennent de fermer. Les magasins sont devenus des échoppes d’artistes : rôtisserie de baskets, laboratoire pour presse papier, porte-plume et pot à crayon. De simples fournitures me direz-vous, non, de l’Art de Bureau® à côté duquel L’Occitane® et Camper® font figure de supermarchés. Le prix de base pour un T-shirt déchiré est maintenant fixé à 130 €.
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Lorsque j’ai déménagé pour le XIe arrondissement, ce fut une évolution vers la biodiversité sociale. Cet arrondissement est le plus dense de la capitale ; de la terrasse des cafés, on observe les fourmis parisiennes entrer et sortir en continu des bouches de métro. Dans ma rue, il y a une boucherie casher ainsi qu’un restaurant de sushi, casher. Jusque là rien de nouveau. Mais l’épicerie du coin est tenue par un Chinois, ainsi que la petite agence de voyage mitoyenne Melting Pot qui propose toujours d’alléchants vols à bas prix pour le Cambodge, la Malaisie, le Laos, là-bas.
La boulangerie est tenue par un Algérien. Sa femme, toujours coiffée du hidjab, estime que son époux parle fort. Comme je rejoins son point de vue, je lui conseille d’aller consulter un ORL (¡¡ OTO-RHINO-LARYNGOLOGUE !!). Lorsque j’y suis retourné un mois plus tard, il parlait d’une voix mesurée. Il m’a fait crédit d’un pain au chocolat parce que je n’avais pas de monnaie. C’est la première fois que cela m’arrivait, sans compter la fois où une caissière de supermarché m’avait fait cadeau de 2 centimes sur des courses valant plus de 100 €. C’était dans le Sud de la France, la brave jeune femme ne connaissait pas Paris.
La boulangerie a fermé depuis. Certaines mauvaises langues diront que c’était parce qu’elle était hallal. Depuis, un restaurant de sandwichs grecs s’est ouvert, il est aussi hallal mais les affaires vont mieux. Conclusion, les bonnes ou les mauvaises affaires ne sont pas le résultat de la religion mais plutôt d’une sérieuse étude de marché.
A midi, le Grain de Riz, petite échoppe vietnamienne tenue par Madame Chi, propose un bo bun à 5 €, nettement meilleur et moins cher que le Maxi Big Mac Deluxe®. Au supermarché, il y a tout un rayon de produits hallal et les ingrédients pour cuisiner mexicain ou marocain. C’est bon un tajine.
Athmen, dealer, est comme 99,5% des Français, il regarde la télévision et, comme 99,5% des Français, il aurait voté Obama, s’il avait été américain. Il s'enthousiasme car le gouvernement vient de légaliser le cannabis à usage thérapeutique dans treize états, le marché est en plein boom et cela présente de belles opportunités. Athmen se demande s’il ne devrait pas ouvrir son business là-bas, en Californie, où 200 000 personnes fument en payant la TVA. En attendant, il étudie l'anglais des affaires.
Comme dans le reste du monde, le nouveau président américain est devenu une icône dans le XIe, son nom sert de mot de passe pour la connexion internet à L’Armagnac, le wistro de quartier, et rue de Charonne, la communauté africaine utilise « ieswican ! » comme laissez-passer au Foyer des jeunes travailleurs.



Melting pot 2/2


Carte Postale n°19 dédiée aux 24 heures Sans Nous

Au Père Lachaise, le monde entier se presse pour voir la tombe d’Oscar Wilde et de Jim Morrison. On peut aussi rendre visite Pierre Desproges, Delacroix, Chopin (sauf son cœur qui est à Varsovie). Au funérarium, une congrégation de généraux et de francs-maçons s’entasse dans la plus parfaite indifférence.
Mon lave-linge est en panne, je vais donc à la laverie d’en face tenue par un Pakistanais qui fume toujours son cigare en laissant voguer son imagination. Il a l’air constamment ailleurs, comme s’il avait sous les yeux un tambour de lave-linge remuant les images noires de villages bombardés par l’OTAN.
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Pour un bon dîner en tête-à-tête, je ne pourrais trop vous recommander le restaurant de gastronomie juive Aux Puits de Jacob. Il y a aussi un petit resto vieux terroir dans la rue de derrière qui doit être très bon. J’ai vu l’autre jour toute la noce d’un mariage béninois entrer alors que la mariée à peine sortie de la mairie place Voltaire perdait encore du riz de sa robe. Pour les gros appétits qui aiment la cuisine riche et raffinée, il y a le Waly Fay qui sert de l’excellente cuisine sénégalo antillaise, mais il faut réserver 3 jours à l’avance pour avoir une table.
Mon voisin taïwanais vient de quitter l’immeuble pour rentrer dans son île, il a laissé la place à une jeune organiste coréenne. Elle s’entraîne toute la semaine pour son concert du dimanche à l’église Saint-Antoine. Mon voisin du dessus, arménien, coiffeur de son état, a commencé des cours de chorale, ses premiers exercices sont des rythmes entraînants. L’autre soir, j’entendais sa voix de baryton fredonner la mélodie de Pulp Fiction et les vieux tubes de feu Michael Jackson. Tout ce microcosme vit très bien, à part ma voisine du premier qui est banquière. Dernièrement, ses actions sont complètement dévaluées, elle ne peut pas débloquer ses stock-options et n’a pas obtenu de crédit pour acheter l’appartement qu’elle loue depuis deux ans. Alors le soir, elle va chercher un DVD au vidéo club du quartier, où il y a beaucoup de films américains, mais il y a aussi tout Bergman, tout Kieślowski, tout Fellini, tout Tavernier, tout Kitano, tout Lars Von Trier, tout Almodovar, tout Wong Kar Wai. Un éden pour les globe-trotters qui n’aiment pas voyager.



Journal d’une psychotique


Certains choses provoquent une émotion si vive en voix que je dois les avaler pour ne pas être dissoute avec elles. Il y a les livres, les films, les essais, les revues, les tracts, les affiches, les notices, les journaux, les règlements, les formulaires, les fichiers, les appendices, les dossiers, les extensions, les thèses, les SMS, les lettres (encore quelques unes), les raccourcis, les notes, les listes, les agendas, les Post-it.
Pour les gens, c’est différent, quand on leur parle, ils se métamorphosent puis disparaissent. Je ne sais pas comment cela se fait.

Journal de bord, .... non, ... mon chef insiste pour appeler cela, des symptômes. Disons donc :

Journal de symptômes

13/11/09
Je suis Hamlet mais tous les châteaux que j’ai visité sont remplis de parkings. Je ne m’arrête de marcher que quand mes jambes sont lourdes ou que les pompiers viennent prendre leurs ordres de ma sainte personne. Je m’appelle Hamlet et mon rite de purification est allé à remplacer chaque molécule de mon corps. Pour atteindre un état céleste, je ne dors ni ne mange depuis quatre jours. Je ne fais que respirer. Aucune nourriture solide n’a franchi le seuil de ma bouche et j’ai remplacé chaque molécule d’H20 de mon sang par du CH3-CH2-OH (éthanol). J’abaisse ainsi ma limite d’explosivité dans l’air et suis plus à même de capter les indices de culpabilité, les sentences paternelles et les voix d’outre rideau.

16/11/09
Je veux que ma salade d’orange à la cannelle soit éternelle, inoxydable, infiniment bleue.


20/11/09
Les gens grandissent et rapetissent, selon leur humeur. C’est parce qu’ils n’arrivent pas à s’exprimer correctement. Ils beuglent ou rient, ce n’est pas inconvenant, c’est juste inexact, et cela me réveille la nuit. Alors que pour les comprendre il suffit de mesurer leur taille. Laura faisait 1m55 quand je l’ai rencontrée il y a deux ans. Pendant les manifestations d’avril, elle en faisait 1m68. Gaspard est un garçon fluet de 1m75, mais quand il est rentré dans ma chambre, il était devenu large et imposant du haut de son 1m90. C’est pour cela que j’aime bien être assise.

21/11/09
Le Roi des Aulnes réclame un nombre croissant de sacrifices, je n’ai que des cigarettes à immoler. Qu’importe, les patchs à la nicotine risqueraient de me transmettre un virus insidieux et les cataplasmes du serpent à plumes n’y feraient rien. Je mourrai à la prochaine éclipse de Soleil.

21/11/09 (again)
La fin de l’année arrive et bientôt le calendrier mayas arrivera à son terme. Puisque tous les prêtres-astronomes sont morts de la grippe amenée par les conquistadors, je passe le temps en regardant des vidéos sur Youtube : un labrador qui joue au billard, un bulldog sur un skate, un dalmatien à vélo, un lapin nain ouvreur d’enveloppes et un chaton s’appliquant à faire des massages shiatsu. Plus que trois ans et un mois, la fin du monde tombe un vendredi.



Fractale








Une fugue sans voix

Traversé de caresses
6 mains, 3 corps, 1 cube, vide
Un, Deux, Trois


Une poignée fraternelle

Une pieuse onction
Une taille enlacée
Une jambe étreinte
Ces empreintes sont les rémanences de couleurs vives
Rose, Rouge, Turquoise


Le rythme de l'horloge est pour moitié du silence
L'autre moitié dépend du tempo des êtres
Car dans la spirale l'aiguille accélère sans changer d'allure
Tic, Toc, Tic


Embrasser tout l'univers
Se mouvoir sur place
Aimer sans s'unir
Recevoir sans accepter
La nécessité du vide
L'absence de centre
Toi, Moi, Nous



Publié sur Etoiles le blog du théâtre de L'Etoile du Nord

Memories


Memory is not a passive quality of our mind, not a kind of record of our actions but an active effort to reactivate the past. Indeed, memory is a tremendous effort of our attention to reopen the doors of past. Usually I prefer the dizzy nostalgia or my intricate fantasies, but nothing about past. I dream, but there is no new shadow in my dreams, only the old ones and all the players hired to entertain me a night.

Some relationships in life will last long, even without your consent. In the future, there will always be a phone ringing or an unexpected visit. I wondered about us then I discovered that you are like these friends I left. You are like Q…, G… or B… : strangers to you, and strange people indeed. I once met them and they are now part of my life. That does not mean I spend days with them, that does not mean I think of them all the time, that does not mean my life worth something thanks to them. It just means that when my life will shut from the world and open me to the darkness, I will pick up the pebbles of my few decades, few dense images, smooth as stones stroked by the seductive voice of the sea. Each of them will be one of you, then my burden and I will be the preys of the greedy void, vanishing into the roots of sleep.

La Reine de la Salle de Bain


Une reine puissante régnait sur un tout petit royaume. Une salle de bain carrelée de blanc et de bleu était l'objet de ses soucis, une obsession autour de son unique bien à transmettre à sa progéniture. Mais la promiscuité, la dissension au sein des rangs et la menace que laissait planer un cousin exigèrent de la rigueur et de la discipline.

Une reine très puissante régnait sur un royaume encore plus petit. Elle était sûre de pouvoir transmettre en héritage cet unique bien à sa progéniture. Mais elle fut encore plus cruelle, plus intransigeante.

Les guerres fratricides sont les plus épiques, selon les dramaturges. Quatre-vingt-dix pour cent des meurtres ont lieu en familles disent les chiffres et les génocides ont maintenant tous leurs caméras, grâce aux journalistes.

Pourquoi alors censurer une pièce qui ne souhaite que laver le linge sale en public ?




Publié sur Etoiles le blog du théâtre de L'Etoile du Nord

OUPS - OPUS








OUPS

C’est la voix du gramophone

L’esprit de la guinguette

Gravé dans le vinyle

Deux corps synchrones

Pour marquer le passage du temps

Du rétro et des images jaunies

Quand on pouvait encore poser ses talons

Ou ses vieux godillots

Sur la banquette en cuir du compartiment

Dans le temps il y avait des jeux de trains

Et des jeux de mains

Quand les trajets duraient des heures

Pour aller où ?


OPUS

Deux êtres libérés dans l’espace interbiscottal

Jouant de la mélodie des astres

Un humanoïde masterise les échantillons de temps

L’enfance de l’Univers est derrière nous

Plus d’homme, plus de femme

Que des ultra-modernes

Et des sabliers en poussières d’étoiles





Publié sur Etoiles le blog du théâtre de L'Etoile du Nord

Le Cantona Sans Peine

Difficile d’enseigner la futilité de la gloire à un postier dépressif.

Impossible d’inculquer le sens de la justice à un gangster psychopathe.

Mais grâce à Cantona et à ses aphorismes facilement mémorisables, on apprend rapidement l’estime de soi.

Bilingue, français / anglais, pragmatique / ésotérique, ses leçons confinent à l’aporie taoïste. Il faut de tout pour faire un Sage : le mental / le physique, l’individuel / le collectif, l’amour / la famille, les rêves / les copains. Tout est dans tout et, surtout, soi est en soi.